L'Église c'est nous

Peuples de rois, prêtres et prophètes

Extrait tiré de l’introduction

[…]

Nous sommes convaincus qu’une pastorale du peuple de Dieu est possible et réalisable, mais exige un certain nombre de changements dans la pratique et la structure ecclésiale actuelle, de manière à permettre l’adoption de celle qu’on appelle normalement « ecclésiologie de communion » ; une vision théologique sur l’Église émergée précisément dans le  dernier concile et réaffirmée à plusieurs reprises par les papes et les synodes suivants comme « l’idée centrale et fondamentale des documents du concile ». Elle porte précisément sur le passage d’une Église identifiée comme une « société parfaite » hiérarchisée à une « Église-communauté », signe et instrument de la communion avec Dieu et de l’unité du genre humain (voir LG 14). Or, pour mener à bien ce changement de paradigme, il est nécessaire que tout le peuple de Dieu prenne conscience de cette nouvelle identité, se l’approprie et la porte, l’habite. Pour cela, nous croyons qu’au moins trois conditions sont nécessaires : la première est que nous nous reconnaissions comme un peuple de frères et sœurs, selon la phrase bien connue de l’Évangile qui nous invite à nous considérer comme tels et à n’appeler « père » personne d’entre nous (voir Mt 23, 9) ; la seconde est que nous assumions une conscience collective, basée sur la structure communautaire synodale de notre « faire Église », c’est-à-dire que nous apprenions à ressentir ce que nous sommes, une agrégation d’identités dispersées devenue « peuple » (voir 1 P 2, 10) ; la troisième est que nous dépassions la perspective consumériste qui pollue les relations internes de notre peuple, pour les fonder plutôt sur la notion de solidarité et de libre participation, pleinement conscients que nous partageons tous le même héritage (voir Ep 3, 6). Dans les paragraphes qui suivent, nous expliquerons mieux ce que nous entendons par ces trois indications, à travers une phrase qui exprime le sentiment commun des fidèles et qu’on entend souvent dans les sacristies.

Une phrase symptomatique

« Mon père, je voudrais faire célébrer une messe pour tel jour, combien vous dois-je ? » Dans cette phrase simple, apparemment anodine et innocente, se cache la raison du déclin actuel de l’Église catholique et on y retrouve les trois conditions qu’on vient d’évoquer, mais en forme négative, comme obstacles à la réalisation d’une pastorale du peuple de Dieu. Le premier signe se cache dans le titre avec lequel les fidèles s’adressent au prêtre : « mon père ». C’est une expression ouvertement en contraste avec l’Évangile, mais on l’entend couramment dans des langues et des latitudes diverses et on la prononce tranquillement, malgré l’incompatibilité patente avec les mots de Jésus : « Ne donnez à personne sur terre le nom de père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux » (Mt 23, 9). Il s’agit bel et bien d’une injonction, mais malgré tout ce titre a été adopté depuis des siècles et il s’est répandu un peu partout en signe de respect de la figure sacerdotale. Or, c’est exactement là ce qui nous inquiète : la vision d’une Église où l’on distingue et sépare les « pères » des « fils », les prêtres des fidèles, le clergé du « peuple », conçu comme une masse à conduire et gouverner. Si pour les pères on a fermé les yeux sur le texte évangélique, que va-t-on faire pour les fils ? Comment peut-on concevoir une Église qui sépare les pères des fils comme les mères des filles, mais aussi les pères entre eux (car on distingue trois degrés du sacerdoce : épiscopat, presbytérat et diaconat) et même les enfants entre eux (en séparant les plus consacrés, les « religieux », des moins consacrés, les « laïcs ») ? Comment peut-elle correspondre encore à la parole de Jésus : « Vous êtes tous frères » ? Et d’ailleurs, si dans un contexte familial la fraternité ne signifie pas homologation, car il y a bien des différences entre frères et sœurs selon la hiérarchie de l’âge, mais on n’arrive jamais à confondre les rôles au point d’appeler « père » un frère. De la fraternité évangélique nous sommes passés à la structuration hiérarchique par un processus précis que nous essaierons d’identifier et qui nous empêche de nous reconnaître comme faisant partie d’un seul peuple, uni et unifié.

Tout au long de ses deux mille ans d’histoire, l’Église s’est organisée selon une stratification hiérarchique complexe, dans un processus d’institutionnalisation progressive qui s’est cristallisé jusqu’à nos jours. Le concile Vatican II a timidement ouvert de nouvelles perspectives avec cette nouvelle vision, qu’on appelle « ecclésiologie de communion », dans laquelle se dessine une image d’Église différente de la figure juridique traditionnelle. Dans cette perspective, la communauté ecclésiale prend conscience du caractère particulier qui unit tous les frères et sœurs dans le Christ, le soi-disant « sacerdoce commun », qui n’occulte ni ne s’oppose au sacerdoce ordonné : ce faisant, le concile avance l’hypothèse d’un sujet unique, issu d’un dénominateur commun, qui lie tous les membres de l’Église de manière égale, sans nier les différences fonctionnelles ou ministérielles. Ce qui est proposé, c’est donc une nouvelle et véritable « conscience populaire », sans laquelle l’aggiornamento ecclésial tant souhaité et annoncé par Jean XXIII ne peut avoir lieu. Et en réalité il n’a pas eu lieu, sinon lentement et de manière superficielle. Dans la première partie de notre parcours, nous essaierons de comprendre ce qui empêche la pleine conscience d’être un peuple, ce phénomène qu’on appelle « cléricalisme », qui a érodé la communion entre les membres de l’Église pour accentuer les différences et saper leur identité de peuple. En fait, plus qu’une simple anomalie, le cléricalisme semble être un effet profondément lié à la structure même de l’Église, plus enraciné et répandu qu’on ne pourrait l’imaginer : bien plus qu’une déviation individuelle ou liée à des groupes de pouvoir, il est devenu une véritable aberration du message évangélique, soigneusement cultivé au cours des siècles. Nous allons proposer des pistes pour le surmonter, pour dépasser la stratification cléricale et partager enfin notre identité commune d’être tous et toutes frères et sœurs en Christ.

[…]

Tables des matières

Abréviations………………………………………………………………………………………………. 5

Préface……………………………………………………………………………………………………………. 7

Avant-propos de l’édition française……………………………………… 11

Introduction………………………………………………………………………………………………. 17

Une phrase symptomatique…………………………………………………….. 19

Un détail négligeable ?………………………………………………………………… 21

Clients et fournisseurs…………………………………………………………………. 23

Les trois fonctions pastorales………………………………………………… 25

 

Première partie

LA FONCTION ROYALE

Liminaire

Surmonter la stratification hiérarchique……………………….. 31

 

  1. Un monde bipolaire entre sacré et profane……………… 35

De presbytres à prêtres……………………………………………………………….. 36

L’opposition clerc-laïc………………………………………………………………… 38

La crise protestante………………………………………………………………………… 43

Du concile de Trente à Vatican II……………………………………….. 46

 

  1. Fratelli tutti : l’utopie de François……………………………….. 51

La prétendue « sortie du siècle » ……………………………………….. 54

Le refus de l’ordination sacerdotale…………………………………. 56

De la fraternité à l’ordre religieux……………………………………… 58

L’idéal égalitaire dans la structure fraternelle………….. 61

L’utopie du pape François………………………………………………………… 64

 

  1. De la société parfaite à la communauté des fidèles………. 71

Surmonter la stratification hiérarchique………………………… 74

Reconsidérer le ministère ordonné……………………………………. 78

Reformuler la « fonction de gouvernement » ………….. 83

Attribuer une subjectivité juridique à la communauté des fidèles……………. 92

La configuration territoriale……………………………………………………. 96

Les instances participatives…………………………………………………….. 98

Le gouvernement collégial………………………………………………………. 99

 

Deuxième partie

LA FONCTION SACERDOTALE

Liminaire

Rassembler un peuple de dispersés………………………………………….. 105

 

  1. La sanctification du monde par la liturgie……………… 111

L’action liturgique selon le droit canon…………………………. 112

Le sacerdoce commun, fondement de la liturgie « du peuple » ……………. 116

L’affirmation du sacerdoce commun……………………………….. 118

Le renforcement de la diversité ministérielle……………. 124

Espaces liturgiques pour une communauté eucharistique…… 127

 

  1. La sanctification du monde au-delà de la liturgie. 133

De la prière personnelle à la « piété populaire » …… 134

La piété populaire entre concile et code……………………….. 136

Promouvoir une « piété du peuple » ……………………………… 139

De la pénitence privée à la réconciliation……………………. 143

La crise de la notion de pénitence……………………………………… 144

L’Église, sacrement de réconciliation……………………………… 147

La pénitence et les autres sacrements……………………………… 149

La charité : de l’individu à la communauté………………… 151

La charité dans la fonction royale……………………………………… 153

La charité dans la fonction sacerdotale………………………….. 158

La charité dans la fonction prophétique………………………… 161

 

  1. Former un peuple de prêtres…………………………………………………. 167

Quelques malentendus dans la formation des prêtres………………… 169

Multiplier les figures ministérielles………………………………….. 175

Tous unis mais capables de se déployer………………………… 181

La question du célibat ecclésiastique………………………………. 183

S’engager « pour le Royaume des cieux » ……………….. 184

 

Troisième partie

LA FONCTION PROPHÉTIQUE

Liminaire

Réagir à la marginalisation……………………………………………… 191

 

  1. Le « sensus fidei » d’un peuple de frères et sœurs 195

Un peuple de personnes convaincues et conscientes ?………….. 199

Un peuple uni d’un commun accord ?…………………………….. 205

Un peuple capable de former un seul corps ?……………. 213

 

  1. Une « pastorale missionnaire » dans le contexte actuel …. 221

La « société seigneuriale de masse » ………………………………. 223

Quelle pastorale pour quelle société ?…………………………….. 226

La redéfinition des réalités paroissiales…………………………. 230

La redistribution des activités pastorales……………………… 236

L’organisation interne de la paroisse……………………………….. 237

Le développement des initiatives pastorales……………… 238

La mise en place d’organismes participatifs……………… 240

 

  1. Évangélisation et catéchèse à l’ère numérique……. 243

Une mission pour le peuple de Dieu………………………………… 245

L’évolution sémantique du terme……………………………………….. 247

Une proposition inclusive…………………………………………………………. 251

Évangéliser qui, comment et pourquoi………………………….. 255

L’annonce, entre célébration et mission………………………… 258

Une grave négligence…………………………………………………………………… 261

La prétention d’être un peuple de prophètes……………… 264

Catéchèse et médias contemporains…………………………………. 266

Une communication multimédia…………………………………………. 268

Décentralisation institutionnelle et prophétie…………… 270

Gestion du patrimoine et consumérisme………………………. 272

Science et foi, un défi pastoral……………………………………………… 277

 

Conclusion………………………………………………………………………………………………….. 281

 

Bibliographie…………………………………………………………………………………………….. 287

L’Église c’est nous

Cesare Baldi

Editions Médiaspaul

304 p. – 23€

https://mediaspaul.fr/