Les aventures d'Evangéline - Tome 1
Le secret du grenier
Prologue
Cette histoire s’est déroulée il y a très longtemps dans un pays qui ressemblait au nôtre, tout en étant bien différent. À cette époque, nos grands-parents n’étaient pas encore de ce monde, et les grands-parents de nos grands-parents non plus. Cet endroit portait le nom de Shiloh.
Le royaume de Shiloh était peuplé d’hommes et de femmes, de garçons et de filles comme vous et moi. Il y avait des arbres et des fleurs, des oiseaux et des poissons, toutes sortes d’animaux et de végétaux très beaux. Ce pays avait pourtant une drôle de particularité. On n’y fêtait jamais rien. Pas d’anniversaire ou de carnaval. Pas de mariage ou de fête foraine. On travaillait, on mangeait, on dormait. Bien sûr, les enfants, eux, jouaient : ils couraient, sautaient, grimpaient aux arbres, comme le font tous les enfants. Mais ils ne savaient pas ce qu’était une fête. En ce temps-là, les Shiloéliens, c’était ainsi qu’ils s’appelaient, étaient tellement absorbés par leur travail et leurs occupations qu’ils en oubliaient tout le reste. Les hommes et les femmes, les garçons et les filles, et même le roi et la reine étaient devenus égoïstes.
Les souverains vivaient dans un immense château sombre et triste, entouré de remparts très hauts et de quatre tours immenses. On y avait froid en hiver.
Pourtant, ce château, si triste et sombre qu’il était, renfermait des trésors inestimables : une bibliothèque considérable, comme aucun de nous n’en a rêvé, une salle des trésors qui débordait d’or et de bijoux et un grenier rempli de souvenirs des temps passés, certains que l’on aimait évoquer et d’autres moins. Au grenier, justement, se trouvait une porte qui donnait sur une pièce où personne, de mémoire d’homme, n’était jamais allé.
Elle était fermée à clé, et nul ne savait où était rangé le précieux sésame qui permettait de l’ouvrir. On racontait que cette pièce contenait un grand secret, et que c’était pour ça que les rois des siècles passés l’avaient condamnée afin qu’il soit perdu à jamais. Était-ce vrai ? Était-ce une légende ? Nul n’aurait su le dire.
Chapitre 1
Évangéline, neuf ans, était une des princesses du royaume de Shiloh. Fille aînée du roi, elle avait perdu sa maman alors qu’elle n’était qu’une toute petite fille. Son père s’était remarié lorsqu’elle avait trois ans, et sa belle- mère avait donné naissance à trois autres enfants : Thomas, l’héritier du trône, et les jumelles, Rose et Margot. Les enfants vivaient tous ensemble dans une aile du château qui leur était réservée : chambre, salle de classe et salle de jeu, bibliothèque, tout était fait pour que les enfants puissent grandir et être éduqués dans les meilleures conditions possibles. Ils avaient les nourrices les plus expérimentées et les précepteurs les plus qualifiés à leur service. Leur nourrice attitrée était Zillah, mais les enfants l’appelaient Nanou. Elle avait été la meilleure amie de la maman d’Évangéline et lui avait promis, avant son décès, qu’elle s’occuperait d’elle comme de sa propre fille.
Évangéline passait une enfance heureuse. En hiver, après les leçons, sa nourrice l’enveloppait dans une couverture pour qu’elle n’ait pas froid et lui lisait des histoires au coin du feu. Au printemps, lorsque les journées commençaient à rallonger, les enfants observaient la nature qui se parait de ses belles couleurs. L’été était la saison où la petite fille et son frère partaient en exploration dans le château et ses jardins. Ils prenaient plaisir à se promener, à jouer à cache-cache et à monter jusqu’aux remparts pour observer la vie du royaume qui se déroulait sous leurs yeux.
La vie était bien douce pour le petit prince et les petites princesses… jusqu’à ce qu’un grand malheur frappe la famille. Un an plus tôt, le roi, leur père, avait disparu en mer pendant un voyage qui devait permettre de conclure la paix avec le royaume voisin, après des années de conflits. Depuis sa disparition, le risque que la guerre finisse par éclater ne faisait qu’augmenter.
Évangéline, son frère et ses sœurs étaient étrangers à ces tensions. Si la petite princesse souffrait de l’absence de son père, tous ceux qui l’entouraient faisaient leur possible pour que la fillette oublie sa peine. Jeux, gâteaux succulents et bonbons, rien n’était trop beau pour elle. Les journées se suivaient et se ressemblaient pour les enfants qui grandissaient choyés. Mais un jour…
Chapitre 2
Par une belle journée d’hiver, Évangéline et Thomas, que tout le monde appelait Tom, revenaient d’une longue promenade dans les jardins enneigés. Comme le vent venait de se lever, leur nourrice les avait conduits à l’intérieur pour qu’ils y jouent à l’abri. Rose et Margot faisaient la sieste ; Tom et Évangéline cherchaient une occupation. Soudain, Évangéline eut une idée.
— Tom, viens ! On va jouer dans le grenier !
— Dans le grenier ? Pourquoi dans le grenier ? Il n’y a rien que de vieilles choses et de la poussière là-haut, s’étonna son petit frère.
— Mais justement, peut-être qu’on y trouvera un trésor ? insista la fillette.
— Non, je n’ai pas envie, vas-y toi si tu veux, je vais rester un peu avec Nanou et les filles.
— Comme tu veux, poule mouillée, se moqua-t-elle gentiment.
— Hé ! Je ne suis pas une poule mouillée, moi ! bougonna le petit garçon.
Évangéline se dirigea donc vers le grenier, tout doucement. Elle marchait sur la pointe des pieds pour faire le moins de bruit possible sur le parquet grinçant du couloir. Comme l’accès au grenier ne leur était pas permis, elle avait peur de se faire attraper et gronder. Tout à coup, elle entendit des voix qui s’approchaient et se cacha derrière un rideau… Puis la princesse soupira de soulagement lorsqu’elles s’éloignèrent. Dès qu’Évangéline fut certaine qu’elle ne risquait rien, elle sortit de sa cachette et courut vers l’aile interdite du château. Elle monta les marches qui la séparaient de son but aussi vite qu’elle le pouvait.
Évangéline arriva devant la porte. Elle s’arrêta quelques secondes, souffla un grand coup et la poussa discrètement… La vieille porte couina, on aurait dit qu’elle pleurait de souffrance de ne pas avoir été ouverte pendant longtemps. Évangéline gravit trois marches, les trois dernières, avant d’arriver dans une pièce remplie de malles anciennes. Une drôle d’odeur flottait dans l’air. La petite fille regarda autour d’elle et commença son exploration sans plus tarder.
Elle ouvrit la malle la plus proche, soulevant un nuage de poussière qui la fit éternuer. Cette dernière contenait des objets vétustes, des tasses et des assiettes ébréchées. Elle la referma et balaya la pièce du regard. Il y avait de vieilles tables, une armoire à laquelle il manquait une porte, un miroir brisé, bref, rien qui n’éveilla sa curiosité.
La princesse continua son chemin et ouvrit une porte qui la mena à la pièce suivante. Des robes étaient rangées dans des caisses abîmées par le temps, et tout cela sentait fortement le moisi. Évangéline en attrapa une et l’essaya en se demandant bien à quelle princesse elle avait appartenu. La robe était beaucoup trop grande pour elle et grattait atrocement. Évangéline l’ôta aussitôt. De la neige tombait à travers le toit auquel il manquait des tuiles, et la fillette avait très froid. Elle frissonna et décida de ne pas s’attarder. La princesse tourna la tête, cherchant une porte pour continuer sa visite, mais n’en trouva pas.
Puis elle leva les yeux et en vit alors une à environ deux mètres du sol, que l’on pouvait atteindre par un escalier délabré. Elle soupira, dépitée, et décida d’empiler des caisses et tout ce qu’il faudrait afin de parvenir à la bonne hauteur. Cela lui demanda beaucoup d’efforts, tout était très lourd, mais finalement, après un long moment, elle y parvint. Elle ouvrit enfin la porte… et faillit tomber à la renverse. Elle se trouvait au sommet d’une des tours du château, et le vent soufflait si fort qu’elle pensait qu’elle allait s’envoler. Devant elle, il n’y avait qu’une vieille passerelle qui ne semblait pas très sûre… Une vieille passerelle… et le vide. Évangéline eut soudain très peur et recula. Puis elle se souvint qu’elle avait traité son propre frère de poule mouillée, alors elle rassembla tout son courage et commença à avancer. Elle s’accrocha aux balustrades, comme elle le pouvait, et tenta de ne pas perdre l’équilibre lorsqu’une bourrasque faillit renverser la passerelle. Finalement, elle arriva de l’autre côté, soulagée, et s’empressa d’ouvrir une autre porte.
Évangéline se retrouva dans une pièce immense remplie d’ouvrages anciens. Elle fouilla les étagères. Il n’y avait que des livres sans images. Mais, comme elle aimait lire, elle en feuilleta quelques-uns avant d’apercevoir une échelle qui semblait donner vers une autre partie de la bibliothèque. Poussée par la curiosité, elle décida de voir où cela pouvait bien mener et emprunta un petit couloir qui menait vers une autre porte.
Lorsqu’elle tenta de l’ouvrir, celle-ci lui résista. La petite fille, frustrée, essaya plusieurs fois. Rien à faire, la porte resta désespérément fermée. Elle réfléchit et préféra faire demi-tour pour revenir plus tard avec tout ce qu’il lui faudrait pour l’ouvrir, avec ou sans clé. Elle descendit l’échelle doucement, traversa la passerelle en rampant, tant le vent était fort, sauta de caisse en caisse, et finit par atteindre la porte. Elle l’ouvrit discrètement, jeta un coup d’œil pour voir si personne ne passait, sortit et poussa un soupir de soulagement lorsqu’elle vit que la voie était libre. Elle courut dans le couloir, emprunta l’escalier et arriva enfin dans la salle de jeu où l’attendaient Tom et leur nourrice, Nanou, mécontente de ne pas savoir où était passée la fillette pendant de si longues heures.
— Enfin Évangéline, où étais-tu donc ? Je me suis inquiétée, nous t’avons cherchée partout ! J’allais partir en informer la reine ! s’écria la nourrice.
— Je suis désolée, Nanou, je… je me suis cachée derrière un rideau pour faire une blague à Tom et je me suis endormie. Je devais certainement être très fatiguée après la promenade dans la neige, expliqua la petite fille, penaude.
— Bon, très bien, je ne te dénoncerai pas aujourd’hui, mais la prochaine fois, tu seras punie. Tu as l’air gelée, je vais demander à la cuisinière de te préparer un chocolat chaud pour te réchauffer. En attendant, assieds-toi près du feu.
— Merci, Nanou. C’est promis, je ne recommencerai pas.
Évangéline savait qu’elle n’aurait pas dû mentir à sa gouvernante, mais si elle lui disait la vérité, elle savait qu’elle ne pourrait plus jamais retourner au grenier. La petite princesse y tenait plus que tout et souhaitait ouvrir cette mystérieuse porte. Lorsque la nourrice se fut éloignée, Tom s’approcha d’elle.
— Mais qu’as-tu fait pendant tout ce temps ? Où étais- tu passée ? demanda-t-il.
— Bah au grenier, comme je te l’avais dit ! répliqua Évangéline.
— Pendant aussi longtemps ? Ça doit être un endroit incroyable, alors ! Raconte, tu y as vu quoi ? supplia son frère.
— Rien de spécial ni d’intéressant, beaucoup de poussière, de vieilleries et de choses cassées, mentit-elle à nouveau. Rien qui ne mérite qu’on y retourne.
— Tu es sûre ? Dommage, j’aurais bien aimé t’accompagner la prochaine fois, répondit Tom.
— Non, vraiment, ça n’en vaut pas la peine. Maintenant, laisse-moi, s’il te plaît. Je suis fatiguée et j’ai froid, j’aimerais me réchauffer et me reposer un peu, dit la petite fille en se dirigeant vers la cheminée.
Évangéline se sentait coupable de cacher à son frère ce qu’elle avait découvert, mais elle n’était pas prête à partager son secret. La fillette s’endormit dans son fauteuil après avoir bu son chocolat chaud. Nanou la porta jusqu’à son lit et la borda.

Les aventures d’Evangéline
Le secret du grenier
Naomi Geyer
Editions Eldée
A partir de 6 ans
128 p. – 16€