Les couleurs de la Vie

Extrait

Un chemin de liberté

LA CRÉATIVIÉ est étroitement liée à la liberté. Elle en est l’une des facettes. Elle ne pourrait pas exister sans liberté, puisqu’elle consiste à sortir des chemins balisés pour envisager de nouvelles possibilités. Comme le dit Thierry Collaud, qui a largement inspiré la réflexion de ce chapitre :

L’humain […] est un être de liberté, c’est-à-dire qu’il peut produire du neuf, de la surprise et en même temps recevoir du neuf et de la surprise de la part d’autres êtres libres.

Qui n’a pas été frappé de constater à quel point les réactions devant une même situation peuvent varier d’un individu à l’autre ? Telle personne confrontée à une maladie qui la prive progressivement de son autonomie physique considère que sa vie n’a plus de valeur et demande à mourir. Elle a le sentiment qu’elle ne peut plus vivre dans la dignité et n’a plus de possibilités d’être heureuse. Une autre, atteinte du même mal, se réjouit de ce qui lui reste et apprécie la compagnie de ses proches. Ensemble, ils inventent des façons créatives de rendre son existence la plus riche possible. Sa vie est certes différente, elle n’est plus comme avant, mais elle n’en a pas moins de prix à ses yeux. Elle y est très attachée et ne se sent pas atteinte dans sa dignité.

On le voit, la qualité et la valeur de la vie sont évaluées de façon très différente d’une personne à l’autre. En réalité, il s’agit, selon Thierry Collaud, de différencier la Vie avec majuscule, comme potentialité dont nous ne pourrons jamais explorer toutes les facettes ni toutes les couleurs, de notre vie concrète et nécessairement limitée. La première est une vie en abondance, pleine, entière, infinie et inépuisable. Elle nous dépasse, elle est transcendante. La seconde est conditionnée par nos choix, nos faiblesses et les aléas de l’existence.

Cette vie, imparfaite, est néanmoins le terrain sur lequel la Vie avec un grand V cherche continuellement à se manifester, quels que soient par ailleurs les handicaps ou les souffrances qui sont là. Nul ne sait quand et comment cette Vie qui nous échappe toujours un peu va advenir, à quel moment le sujet va se laisser traverser par elle. L’être humain reste imprévisible et surprenant, et c’est pourquoi certaines personnes se déclarent heureuses même atteintes du syndrome d’enfermement (locked-in syndrome). Elles ont su, contre toute attente, convier la Vie en abondance et en savourer le goût à l’intérieur de leurs grandes limitations. En effet, la liberté demeure même chez les personnes très limitées ou handicapées, elle « dit la possibilité qu’a l’être humain de ne pas se laisser enfermer dans un cadre, mais d’être sans cesse en capacité de déployer son humanité de manière neuve et inattendue ».

La vie que l’on voit, que l’on vit, est toujours partielle, et en quelque sorte, provisoire, elle n’a pas le dernier mot, dans la mesure où nul ne sait quand cette vie banale laissera jaillir et s’exprimer la Vie que rien ne peut contenir et qui donne du goût à l’existence. L’être humain, quoi qu’il arrive et à cause de la liberté, garde « cette capacité d’inventer toujours de la vie même dans les conditions les plus insatisfaisantes. La Vie veut continuellement naître, et notre liberté pousse notre créativité personnelle et collective à trouver des moyens pour la laisser s’exprimer dans nos existences. Toujours selon Thierry Collaud, il existe « un modèle du ne-pas-encore-être, c’est-à-dire du bonheur ou de la joie toujours encore possible malgré et au milieu des difficultés. Faire usage de notre liberté, c’est avoir recours à notre créativité pour laisser cette Vie naître et s’exprimer.

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