Un chant de liberté

Extrait

Introduction

Un homme qui chante et écrit

Saint Jean de la Croix est méconnu des chrétiens d’aujourd’hui. Pourtant, en tant que docteur, son rôle dans l’histoire et dans la pensée de l’Église est capital. En son siècle, qui appartient à l’époque de la Renaissance, on synthétise toutes les formes de savoir et de connaissances acquises. Aussi ses écrits sont-ils une synthèse de la spiritualité chrétienne vue sous l’angle de son génie et de son expérience propres avec, bien entendu, nombre de points originaux.

La théologie spirituelle de saint Jean de la Croix se base pour l’essentiel sur la doctrine du grand saint Augustin, elle-même fondée sur les trois vertus théologales de foi, espérance et charité, qui nous donnent un accès direct à la présence de Dieu en nous. Essentiellement poète, Jean chantera et décrira ce mystère théologal avec la si belle image de la « nuit », fruit de l’éblouissement qu’entraîne l’union au Christ, lumière infinie. Malheureusement, en se focalisant sur l’aspect ascétique de ses traités, on oublie trop facilement que ce docteur de l’Église est avant tout un poète mystique qui chante son amour de Dieu, le « bien-aimé », et les « noces mystiques » auxquelles il nous convie. L’aspect ascétique – car il y en a bien un – n’est que la réponse à cet amour ; car que serait un amour, même simplement humain, sans exigence ?

Jean de la Croix n’est donc pas non plus un intellectuel de la vie spirituelle assis à son bureau de professeur, mais un chantre de l’union au Christ dont il cherche à témoigner auprès de ses frères et sœurs chrétiens ; non de son propre chef d’ailleurs, mais sous la pulsion de cet amour qui n’est autre que l’Esprit Saint lui-même.

Ainsi, dans ce livre, j’aimerais montrer comment toute l’œuvre écrite du saint n’est que l’expression extérieure d’une aventure d’amour intérieure, qu’il nous invite à partager.

Je commencerai par une brève biographie qui nous aidera à le situer, lui et son œuvre, dans leur contexte socioculturel et religieux. Ensuite – et ce sera la partie la plus longue – j’analyserai cette œuvre et en donnerai des clefs de lecture. Je ferai alors une place d’honneur à sa poésie, qui nous dit mieux que tout son élan intérieur. D’ailleurs, l’œuvre poétique de Jean de la Croix est en réalité composée de « chants », écrits à l’origine pour être chantés.

Ce livre traitera des œuvres majeures du saint docteur, dont certaines ont été composées durant la période de son emprisonnement, que nous évoquerons sous peu : tout d’abord les Romances, qui expriment l’ensemble de l’histoire de la Rédemption en paraphrasant le prologue de l’Évangile selon saint Jean. Au nombre de neuf, elles nous font contempler le mystère trinitaire décidant, en son conseil intime, de créer une épouse pour le Fils : le monde aux exigences de et son histoire, partant de l’Ancien Testament pour aboutir au mystère de l’incarnation, conçu comme un véritable « mariage ».

[…]

Dans l’œuvre de Jean de la Croix, comme nous le verrons, la Nuit obscure représente l’aspect ascétique de « mort » ; le couple Cantique – Vive flamme représente l’aspect mystique de « résurrection ». « Mort et résurrection » en Christ-Époux. Ainsi, le commentaire de la Nuit obscure analyse l’union à Dieu de notre être par les trois vertus théologales dans leur dimension purificatrice (les « Nuits »), tandis que ceux du Cantique spirituel et de la Vive flamme d’amour traitent des délices et saveurs spirituelles de cette même union théologale.

Nous possédons enfin de Jean de la Croix quelques lettres de direction spirituelle, qui révèlent sa stature de pédagogue, ainsi que des sentences et avis spirituels fort brefs. N’oublions pas deux dessins, le schéma du mont Carmel, résumé visuel du traité la Montée du mont Carmel, et ce prodigieux petit dessin où Jean représente le Christ crucifié en vue plongeante, ce qui est très difficile à faire techniquement. Sorte d’icône de la vie de notre saint docteur ainsi que de sa doctrine chrétienne, cette image veut suggérer le Père donnant son Fils au monde dans la lumière de l’Esprit Saint. Nous explorerons ces textes, ce schéma et ce croquis à la fin de ce livre.

En lisant les pages qui suivront, je le répète, il ne faudra jamais perdre de vue que Jean de la Croix ne cherche pas à faire entrer dans un système, mais dans une expérience.