C'est Dieu qui passe
Que vous puissiez trouver en vous-même suffisamment de patience pour supporter, et suffisamment de simplicité pour croire ; que vous puissiez gagner une confiance de plus en plus grande envers ce qui est grave, difficile, et envers la solitude où vous êtes au milieu des autres.
Et pour le reste, laissez la vie vous advenir ; croyez-moi, la vie a raison, dans tous les cas.
Rainer Maria Rilke
Lettres à un jeune poète
Parce que les mots
ne sont pas seulement des mots,
ils sont le temps qui passe,
et la mémoire de l’avenir,
et la puissance des étoiles.
Parce que les mots
disent autre chose que les mots,
ils disent le bruit du vent,
et le chant des nuages,
et la transparence lumineuse.
Parce que les mots
ont un autre sens que les mots,
ils nous découvrent l’Invisible,
l’âme immortelle de la Création
enfouie dans le silence.
Parce que les mots
ont plus de pouvoir que les mots,
ils me révèlent qui je suis,
et la splendeur de ma propre beauté,
si loin cachée.
Parce que les mots
ne sont pas seulement des mots,
ils sont l’Amour du Père
révélé par le Fils
au souffle de l’Esprit…
… et deviennent Parole !
De l’autre côté de moi
JE SUIS
JE SUIS
comme un léger radeau
sur la mer démontée,
comme la goutte d’eau
qui s’apprête à tomber.
JE SUIS
comme l’oiseau qui vole
allongé sur le vent
comme la feuille folle
au remous du torrent.
JE SUIS
comme l’arbre planté
au bord de la rivière
comme la fleur dressée
si lumineuse et fière.
JE SUIS
comme la vague hostile
qui se brise au rocher
comme l’herbe fragile
que la pluie a couchée.
JE SUIS
sans contour ni limites
sans éclat ni beauté
sans illusion, sans mythe,
et sans sécurité.
JE SUIS.
C’est peu, et c’est bien tout
ce que je sais de moi,
et dépouillée de tout
je peux m’offrir à Toi.
POINT DE SUSPENSION
Il y a des vies
en forme de point d’interrogation,
des vies-question
qui interrogent,
qui se glissent
et s’immiscent.
Il y a des vies
en point d’exclamation,
des vies-action
qui nous dérangent,
qui se posent
et s’imposent.
Moi, je rêve d’une vie
en points de suspension,
une vie-soupir,
une vie-silence,
une vie comme une absence
pour avoir soif de Ta Présence,
une vie de solitude
pour accueillir Ta plénitude…
une vie inachevée,
une vie à inventer
à chaque jour,
à chaque instant,
comme une page blanche
où nous pourrions écrire
avec Ton sang,
avec mes larmes,
l’histoire de notre amour…
une vie-promesse,
une vie-désert
où s’inscrirait en creux
le manque inexorable
qui me jette dans Tes bras ;
une vie ouverte à l’inconnu,
ouverte à l’infini…
une vie-écoute
comme une espérance,
pour reposer les coeurs blessés,
tous les paumés,
les fatigués,
mes frères…
une vie suspendue
entre la terre et le soleil,
entre la source et le désir,
entre passé et avenir…
Et moi je rêve
d’une vie éternelle…
La mort intime
Il faudra bien, un jour,
apprivoiser la mort,
celle qui fait mal,
celle qui fait peur.
Il faudra bien, un jour,
la regarder en face,
la mort impitoyable !
Et découvrir peut-être,
comme à travers un voile,
la mort intime,
et familière,
qui me sourit dans mon miroir
chaque matin :
dans mes cheveux qui blanchissent,
dans mes traits qui s’alourdissent,
dans mon corps qui s’affaiblit
et m’abandonne,
peu à peu.
Regarde-la, mon âme,
contemple-la !
Laisse-la te toucher
et doucement te caresser
comme on caresse un nouveau-né !
Laisse-toi pénétrer
de son mystère,
de sa lumière !
Car tu as été baptisée
et sur toi désormais,
la mort n’a plus aucun pouvoir.
Depuis le Jour du Fils de l’homme,
elle n’est plus l’Ennemie,
la Faucheuse implacable ;
mais elle est devenue,
par la Résurrection,
la main tendue de Dieu
qui m’invite à entrer
dans Son intimité.
« Loué sois-Tu, mon Seigneur,
pour notre soeur, la mort corporelle… »
Saint François d’Assise.
Le cantique de frère soleil.